Récitatif Toni Morrison

La première fois que j’ai rencontré le nom de Toni Morrison, c’était durant mes furetages dans le dictionnaire alors que j’étais jeune adolescent. J’allais souvent regarder les noms propres, les gens célèbres, notamment les écrivains. Je cherchais peut-être à me trouver une destinée identique à ces personnes illustres, espérant secrètement retrouver mon nom un jour à côté de ces gens-là. Dans l’édition du Larousse, il y avait une photographie en couleur de Toni Morrison. Je regardais souvent cette femme noire arborant un sourire complice. Ce que je savais sur elle se limitait principalement à sa condition de première femme noire américaine à avoir obtenu le prix Nobel.

Dans cette désignation, je ne cherchais pas à aller plus loin. Elle ne faisait qu’incarner l’évolution nécessaire de la reconnaissance des personnes africaines-américaines et plus largement de leur culture. J’ai très jeune commencé à écouter du jazz, sans doute par snobisme ou simplement par goût, un goût qui différait en tout cas de celui de mes ami·e·s de l’époque. Depuis ce jour, je n’avais donc jamais lu Toni Morrison. Mais, entre mon enfance et aujourd’hui, l’enjeu des droits civiques des personnes racisées est devenu primordial dans ma construction politique. Ma lecture de Récitatif est venu clore une boucle qui avait débuté jeune, venant résoudre un dilemme avec lequel je ne me sentais pas à l’aise.

L’unique nouvelle de Toni Morrison est aussi compacte et mystérieuse qu’un caillou que l’on soupèse dans le creux de sa main. Après sa lecture, elle est devenue autant importante à mes yeux que Bartleby de Melville. Elle dit beaucoup de choses sur les États-Unis et donc aussi sur les enjeux que constitue la rencontre entre le continent européen et le continent africain. Toute sa force se situe dans cette incertitude sur la couleur de peau de Twyla la narratrice et de Roberta sa camarade de chambre. Toni Morrison condense la vie de ces deux héroïnes en seulement 50 pages, sans jamais transiger sur la force convaincante de son écriture.

Cette incertitude de la couleur de peau des deux personnages nous renvoie à notre (in)capacité à reconnaître l’humain plutôt que l’origine. Tout comme le refus de Bartleby s’implique politiquement et intiment en moi, l’injonction narrative que permet Toni Morrison dans Récitatif m’invite à me poser la question de mon propre rapport à la culture noire. Lorsque je feuilletais le dictionnaire et tombais sur cette première femme noire américaine à avoir eu le prix Nobel, je ne me demandais pas pourquoi elle eut ce prix. C’était ainsi, les personnes noires devaient bien un jour être reconnues comme n’importe qui d’autres.

Mais c’est justement oublier ce qu’il y a en chacun·e : l’humanité, l’intelligence et la curiosité. Car si Toni Morrison a eu le prix Nobel, ce n’est pas seulement parce qu’elle était noire. C’est aussi pour son travail littéraire et intellectuel indispensable, qui participa plus que jamais à la reconnaissance des droits civiques pour toustes. Commencer à lire Toni Morrison par cette nouvelle est plus que troublant. C’est comme si par moi-même, je décidais d’attaquer le cœur du problème. J’ai réalisé qu’il me fallait comprendre cet intérêt pour Toni Morrison en n’abandonnant pas son humanité. Cela m’incite à ne plus réduire Toni Morrison en une simple personne noire mieux reconnue que d’autres, redonner du sens à son humanité.

Récitatif

Toni Morrisson

Postface de Zadie Smith

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Laferrière

Christian Bourgois Éditeur

Publié par

Adrien Meignan

Chroniqueur littéraire

Laisser un commentaire