Interview avec Dominique Quélen

Lorsque j’ai découvert le travail poétique de Dominique Quélen, son originalité m’a frappée. Sa démarche est constante et referme un rapport très franc à l’écriture, loin de la posture factice de l’écrivain frappé par la grâce de l’imagination. Pour lire Dominique Quélen, il faut d’abord repousser loin l’idée de la complexité et accepter que l’ordre de compréhension nous échappe. L’important est l’expérience de lecture, ce que la matière du texte produit chez le·la lecteurice.

Dominique Quélen m’a accordé cet interview au pied levé, entre deux publications, avec une grande générosité dans ces réponses. Ce qu’il dit rafraichi mon regard sur la poésie. Il publie aujourd’hui son dernier livre, Profil élégie aux éditions Le Corridor Bleu.

© Laurence Quélen

Dominique, tu es l’auteur d’une œuvre à part dans le paysage poétique contemporain. Qu’est-ce qui t’a amené à cette forme d’écriture qui mêle contrainte et jeu ?

Il me semble, Adrien, que, si tant est qu’elle soit à part (puisque toute pratique l’est à sa façon, bien entendu), c’est dans le sens d’un entre-deux. Cela vient sans doute d’un écart, d’une hésitation chez moi entre des aspirations contraires, d’un côté un certain goût pour le formalisme, la froideur, la netteté, de l’autre la tentation d’y glisser du jeu, du flottement, de la boiterie, quelque chose comme un sentiment (au sens large).

Ne serait-ce que celui, partagé peut-être par d’autres qui écrivent ou se livrent à ce genre d’activité, de ne pas écrire ce que j’aimerais écrire si j’écrivais ce que je lis, pour détourner la phrase de Duras, donc un sentiment de ruine.

À partir de là, il me faut trouver moyen d’élaborer ou de bricoler quelque chose, de colmater, d’où les contraintes qui tiennent lieu d’étais et d’échafaudages. Elles ne sont ni trop visibles ni trop complexes, ni d’ailleurs toujours nécessaires.

Je précise qu’il y a un second écart dans ce que j’écris entre ce qui est pour des compositeurs, à quoi m’ont mené les hasards de la vie, et ce qui est destiné au livre, les deux ne se mêlant ni dans mon esprit ni dans leurs modes de publication. Du moins, ça se trouve comme ça.

Tu distingues donc le travail que tu as pu réaliser pour Aurélien Dumont, le groupe Klimperei ou encore Misato Mochizuki de ton travail éditorial ? Est-ce que c’est ici une forme de distinction entre la musicalité et l’écriture poétique ? La musicalité de ton écriture éditée ne peut-elle pas résonner lors de lectures à voix haute ?

Ce n’est pas tant, je crois, une question de musicalité que de statut – du texte et de moi-même. Quand j’écris pour la musique (et le plus souvent c’est une commande), je fournis du matériau, je tiens ma place comme un instrumentiste.

Sur ledit matériau je n’ai aucune prétention ni quelque forme que ce soit d’amour-propre : il est malléable à loisir, libre au compositeur – le véritable auteur de l’œuvre – de le trafiquer à sa guise, ôtant ici, ajoutant ou modifiant là, en fonction des nécessités de la partition.

Même dans les cas où la forme est stricte – il m’est arrivé par exemple d’écrire pour Aurélien Dumont des haïkus, ou encore un poème en vers justifié assonancés – l’idée qu’on la dérange ne me dérange pas, pour peu que dans un coin, qui peut être simplement un fichier dans mon ordinateur, existe le texte sous sa forme première.

Ce matériau, qui est sonore, rythmique autant – sinon plus – que signifiant, peut du reste ne pas être pure création (si tant est qu’une telle notion existe). Pour Aurélien Dumont j’ai adapté un chapitre du Dit du Genji de Murasaki Shikibu, ou écrit un centon à partir des Mémoires de Berlioz ; pour Misato Mochizuki j’ai traduit et adapté des contes de Lafcadio Hearn ; pour Klimperei des poèmes de Lewis Carroll ; etc.

Il peut certes m’arriver d’utiliser des lectures dans l’élaboration d’un livre. Ainsi, deux volumes à paraître contiennent des réécritures, à des degrés divers, de Racine, Dumas, Mallarmé ou Lovecraft.

Mais l’utilisation de l’œuvre-source diffère. Dans un cas je la sers et ne me sers pas, dans l’autre elle vient s’insérer et se fondre dans mon propre projet au point d’être indétectable si je ne la signale pas.

Je tendrais presque à dire que c’est en écrivant pour la musique que la musicalité, au sens d’harmonie sonore, importe le moins. C’est le rôle de la partition.

En outre, dans la musique contemporaine, la place du parlé-chanté est telle qu’il est difficile pour un novice comme moi de se rendre compte de l’utilisation qui sera faite du matériau que je fournis, et qui souvent diffère du tout au tout de ce que rendrait celui-ci si simplement je le disais – ce que je me garde bien de faire.

Il est délicat de savoir quand un texte est « fini », il arrive qu’on y revienne plus tard ; il arrive aussi que pensant l’amender on détruise l’équilibre auquel on était plus ou moins parvenu.

Ce qu’on perd alors est justement, en tout cas chez moi, de l’ordre de la musicalité si l’on entend par là des paramètres de rythme et de fluidité ou au contraire des heurts, qui produisent des effets de sens plutôt qu’ils n’en procèdent.

Il y a un équilibre également à chercher dans les textes pour la musique, mais il est plus flottant, et le degré de précision n’est pas le même, puisque la précision, c’est la musique qui l’apportera, et dans une autre mesure l’interprétation.

Quoi qu’il en soit et en fait de musicalité, c’est plutôt du côté du rythme, il me semble, que se situe l’écriture poétique. Pierre Alferi, dans Brefs, reprenant la réponse fameuse de Mallarmé à Jules Huret, dit ainsi du poète : « qu’il utilise la prose ou non, [il] ne s’adonne à rien d’autre qu’à un travail rythmique, évidemment ».

Or, du rythme, lorsque j’écris pour la musique, je n’ai pas vraiment la maîtrise. Ce qui d’une certaine manière est un allègement.

Comment se présente à toi un texte que tu comptes publier ? Comment se déroule son processus d’écriture ?

Ce qui prime, c’est la forme. J’entends : en amont ; ensuite tout cela se mêle. Je dois trouver la forme dans laquelle écrire me devient possible. Il arrive que cela se fasse au cours de l’écriture, dans les premiers moments, la forme se fixant peu à peu jusqu’à devenir celle du texte en train de s’écrire.

Par exemple, si ce sont des poèmes séparés (mais toujours constituant un ensemble ou une série, raison pour laquelle je n’écris pas de « recueils » même si je n’ai rien contre – simplement le processus n’est pas le même), il se peut que je me fasse une idée préalable de l’allure qu’ils auront sur la page mais qu’à mesure que j’avance celle-ci change ou se précise.

Dans le manuscrit en cours, je suis parti d’une forme relativement vague, des vers ni métrés ni rimés, tantôt organisés en strophes ou non, celles-ci régulières ou non, avec des retraits de temps à autre, usant tantôt de l’enjambement et tantôt non, bref : beaucoup de liberté.

Mais peu à peu s’est imposée à moi une forme plus stricte, qu’on pourrait appeler la silhouette de sonnet. Silhouette seulement car n’en empruntant que la forme générale, c’est-à-dire les quatorze vers et ceux-ci visuellement assez réguliers, comme s’ils étaient métrés (ce qu’ils ne sont pas).

Seulement, ce qui arrive en général dans ce cas, c’est que je finis par pousser l’idée à l’extrême et cela donne des vers d’abord corsetés (j’emprunte l’expression à Patrick Varetz) puis carrément justifiés sans pour autant qu’ils le soient, c’est-à-dire sans utiliser la police de caractère idoine.

C’est assez stupide de ma part puisqu’il faudrait ensuite, pour que le poème conserve cette apparence de quadrilatère, qu’il soit imprimé dans le même corps et la même police de caractère, ce qui risque peu d’arriver. C’est non seulement stupide mais aussi étouffant.

Donc, par un effet de soufflet, j’alterne l’écriture de ces « faux sonnets » avec celle de poèmes plus « libres » correspondant au projet initial, ne parvenant à avancer dans les uns qu’en avançant dans les autres.

Les contraintes assez simples que j’utilise ne sont en règle générale destinées qu’à moi. Elles disparaissent à la lecture. Ainsi par exemple, Loque a été écrit avec la seule et unique contrainte de produire mille signes par jour, pas un de plus, pas un de moins, quand bien même – et c’était presque toujours le cas – le millième signe m’amenait au milieu d’une phrase ou d’un mot. Bien entendu, il ne reste rien de tout cela dans le texte fini et le livre publié.

C’est comme une doublure dans un manteau : on sait qu’elle est là, elle est même parfois plus belle que le manteau, mais en principe on ne la voit pas. De la même manière, un grand nombre de mes poèmes en prose sont écrits en vers (justifiés, métrés, etc.). J’ai besoin de cette disposition sur l’écran pour les écrire, c’est-à-dire pour en fixer les bornes. C’est un cadre.

La forme du livre obéit au même principe. Il me faut en saisir les contours par la pensée pour pouvoir m’y engager. Par contours, j’entends le nombre de poèmes, leur ordre et leur éventuelle répartition en parties. Le manuscrit que je viens de terminer se compose de 202 poèmes, chiffre fixé d’emblée, pour une raison qui sera explicitée dans le livre.

Le cycle des « oiseaux » se compose de trois volumes comprenant chacun deux séries de cent poèmes. Etc. Conception plus proche sans doute de celle d’un peintre ou d’un dessinateur faisant en fonction des dimensions de la toile ou de la feuille de papier, que de celle d’un écrivain (qui fixe rarement à l’avance le nombre de signes ou de pages de son texte).

Quand rien n’oblige à ce que le manuscrit ait une longueur précise, assez rapidement je la détermine, fût-ce arbitrairement ou en me fondant sur la valeur plus ou moins symbolique de tel ou tel nombre, pour éviter que, ne sachant où je vais, je ne sache par où passer.

Tout cela peut paraître obsessionnel, et même compulsif. C’est aussi une manière, par le comment, de contourner le quoi : il arrive toujours assez tôt dans le processus d’écriture.

Les sujets que tu abordes se dévoilent à travers une forme d’écriture d’apparence complexe mais particulièrement immersive. Les thématiques se comprennent à la manière d’un enquêteur, comme si on dénichait des choses insoupçonnées dans ton œuvre, et même parfois des choses sur ta vie intime. Est-ce que tu réfléchis à l’expérience que peut produire la lecture quand tu écris un texte ? Et qu’est-ce que cela dit de ton travail ?

Je ne cherche pas, c’est vrai, à produire (pas plus qu’à dissimuler) un sens, mais plutôt des îlots de sens. On peut certes y trouver de l’obscurité, de l’absurdité, un intérêt limité. Malgré tout, j’essaie – avec des résultats divers – de me placer, sinon dans la situation du lecteur ou de la lectrice, tâche impossible, mais dans une situation de lecteur en même temps que d’auteur.

Par ailleurs, la compréhension ou appréhension du texte n’est pas, selon moi, de l’ordre d’une lecture linéaire, tout comme je n’écris pas linéairement non plus mais en plaçant et déplaçant de petits blocs de mots jusqu’au moment où il me semble que « ça tient », qu’il y a un équilibre de l’ensemble. J’ai moins l’impression d’écrire que de dessiner, ou, pour reprendre ma comparaison, d’être comme un peintre qui agence formes et couleurs sans souci forcément de figuration.

Le texte est une toile et, celle-ci une fois munie de sa peinture, un organisme : chaque élément y est relié aux autres sans ordre de prééminence. De sorte qu’un mot peut au cours de l’écriture se trouver remplacé par un autre de sens différent, voire contraire, pour le jeu qu’il permet, d’écho, de rythme, de fluidité, avec, comme dirait Tarkos, ses copains, ses voisins, son petit contexte.

Pris dans ce dispositif, il peut m’arriver d’évoquer des détails intimes, c’est-à-dire que, dans le système d’îlots dont je parlais, quelque chose émerge ou surnage, mais il ne s’agit en rien de me dévoiler, de parler de moi (ça ne présenterait aucun intérêt), puisqu’on ne peut dire que je parle d’une chose en particulier et que lorsque je pense parler de quelque chose je m’aperçois que je parle de tout autre chose – ce en quoi parler, au sens d’écrire, s’apparente sans doute à penser.

Comment le goût de faire cette forme de poésie t’es venu ? Tu cites ici Christophe Tarkos, quelles sont les figures de la poésie contemporaine qui t’ont guidé vers ta propre pratique de la poésie ?

La vaste question des lectures marquantes… Elles se font souvent par capillarité mais si je remonte à la source, je peux dire que mon premier contact avec la poésie contemporaine a eu lieu en 1977 avec la 2e édition de La nouvelle poésie française publiée chez Seghers par Bernard Delvaille.

Il y a eu depuis une profusion d’anthologies présentant tel ou tel pan de la poésie actuelle, mais ce n’était pas encore le cas alors. Là se côtoyaient Savitzkaya (22 ans…), Albiach, Vargaftig, Royet-Journoud, Venaille, Prigent, Verheggen, Cliff, Collobert, Giovannoni, Hocquard, Messagier, cent autres encore.

Tout m’a sauté à la figure, en bloc, ineffaçablement, et je ne saurais plus dire lesquels m’ont le plus retenu à l’époque. Probablement quand même les travailleurs de formes brèves.

Je ne vais pas répondre plus avant à ta question, pardon ! Non par désir de l’éviter (bien des noms me viennent au contraire à l’esprit), mais parce que je crois que, comme les lectures, leurs effets circulent par capillarité, par des tours et des détours souterrains, et pas seulement par des affinités immédiates.

On peut être influencé par des écritures dans le prolongement desquelles on ne se situe par forcément, par choix ou par modestie des moyens, ce qui n’empêche en rien – du moins selon l’expérience que j’en ai – qu’elles infusent en nous. Et ce d’autant plus quand soi-même on évolue dans sa pratique de la poésie.

Dans ce que tu dis ici de la poésie, mais aussi avec mon ressenti de lecteur, j’ai l’impression de me trouver, avec ton travail, plus du côté viscéral de la création artistique plutôt que du côté intellectuel de la littérature. Quelle est l’image qui lui correspond le mieux ? Un travail de la matière ou une réflexion intellectuelle ?

J’ai assez peu d’idées, somme toute, en dépit de ma formation universitaire. Ce n’est pas de ce côté-là que ça se passe, du moins dans ma pratique, en poésie.

Je cite parfois ces mots de Charles Nogier, un jeune dessinateur dont j’ai découvert le travail au Chalet Mauriac : « J’ai en général un esprit très confus, toute décision à prendre est une torture. Quand je dessine, je ne pense pas, j’observe. Tout devient très simple. Peu importe le sujet auquel je m’attelle. C’est le sentiment de modeler une forme qui me plaît. »

C’est assez similaire à ce que j’éprouve (au sens de ressentir et d’expérimenter) en écrivant, à ceci près qu’au lieu d’observer le monde alentour comme le fait Nogier, c’est le langage que j’observe, et comment à partir de sa matérialité s’élabore l’équivalent d’un monde, d’un petit monde en tout cas. Et que tout ne devient pas « très simple » ! Écrire, il me semble, suppose une adresse (à quelqu’un) mais aussi un regard.

Puisque je suis dans les citations, Paul Auster, dans L’Invention de la solitude, écrit à propos de Ponge qu’il n’y a pour lui « aucune séparation entre le fait d’écrire et celui de regarder. Car on ne peut pas écrire un seul mot sans l’avoir d’abord vu, et avant de trouver le chemin de la page, un mot doit d’abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit de la même façon qu’on vit avec son cœur, son estomac et son cerveau. »

Peut-être ma façon d’envisager l’écriture comme une fabrique d’objets résulte-t-elle à la fois de cette place occupée par le regard, l’objet étant avant tout ce qui affecte la vue, comme un corps, et d’une certaine maladresse, ou vécue comme telle, à manier le langage, d’un manque. Ce qui me pousse, bien souvent, à compliquer inutilement les choses…

Quel rapport as-tu avec les lectures publiques ? Qu’est-ce que cela produit sur ton travail de restituer ton écriture à l’oral ?

J’en fais volontiers, même si elles ont tendance, ces temps-ci, à s’espacer beaucoup trop à mon goût.

Au départ, je n’envisageais pas du tout de lire quoi que ce soit en public. Mes poèmes étaient d’abord faits pour la lecture silencieuse, tout comme ils avaient été le produit d’une écriture silencieuse. C’est venu en 2003 avec la publication de mon premier « vrai » livre, Petites formes (deux autres l’ont précédé, qui n’étaient pas totalement de mon fait).

À la suite de quoi il y a eu quelques rencontres en librairies parfois ponctuées, comme de coutume, de lectures d’extraits. À la même période a eu lieu ma rencontre avec Aurélien Dumont. La collaboration qui s’en est suivie a sensiblement modifié mon rapport au texte.

Écrire pour la musique suppose une certaine distance, d’ailleurs élastique : on n’a plus le nez collé au poème, on est attentif à l’impression globale plus qu’au détail, d’autant que ledit détail peut fort bien passer inaperçu, être modifié, supprimé, etc. L’effet en est très visible dans plusieurs de mes livres.

J’ai souvent lu en public des extraits de Loque ou de Câble à âmes multiples (republié aux éditions Lanskine, ndr), les deux livres publiés chez Fissile, où les ressorts burlesques ne manquent pas – chose alors nouvelle pour moi. À l’inverse, j’ai essayé une seule fois de lire des poèmes de Finir ses restes et n’ai plus jamais recommencé. Pas seulement une question de contenu : de rythme, aussi.

Certains poèmes se prêtent excessivement mal à l’exercice, notamment parmi ceux que j’écris sous forme de séries (les oiseaux, les énoncés-types, etc.), la régularité que j’y cherche s’y oppose, et même une forme de monotonie, tout comme l’obligation d’opérer un choix dans ce qui se présente pour moi comme un ruban insécable par-delà le découpage en poèmes.

Dans tous les cas, si, à l’instar j’imagine de bien d’autres poètes, j’entends en moi les poèmes en les écrivant et les modifie en fonction de cette écoute, je ne les dis pas à voix haute. Si bien que le passage à l’oral et en public est toujours délicat et pour cette raison même surprenant.

Il peut amener à ce que je corrige le texte parce que telle tournure ou tel rythme n’étaient pas satisfaisants à l’oreille. Une façon d’entendre « cette hésitation prolongée entre le son et le sens » qu’est, selon Valéry, même s’il s’agit dans sa définition d’une tout autre idée, un poème.

Quel regard portes-tu sur la nouvelle scène poétique ? Est-ce que tu es sensible aux enjeux de représentations, notamment des femmes, des personnes racisées etc. dans la poésie actuelle ?

Je travaille plutôt solitairement (ce n’est ni un bien ni un mal, encore moins le résultat d’une volonté, mais un simple état de fait) et manque de connaissances précises et d’une vision assez claire et large des choses pour répondre avec exactitude à cette question. Je ne peux donner que mes impressions. Elles valent ce qu’elles valent.

Il semble qu’une jeune génération soit apparue avec force ces dernières années. Quoiqu’il en aille des générations comme de bien d’autres choses : c’est les nommer qui les fait exister, car les gens ne naissent pas en foule compacte une fois tous les vingt ou trente ans.

Tout le temps, sans discontinuer, des gens naissent et meurent, on y voit une générations lorsqu’une densité suffisante de traits communs rassemble des personnes passant approximativement plus ou moins au même moment par les différents âges de la vie, de façon à ce que la pensée puisse les opposer avec assez d’évidence à ce qui les a précédés.

Une jeune génération, donc, en gros les milléniaux, dont l’émergence de la pratique poétique est liée entre autres aux réseaux sociaux et aux formes d’écriture qui en découlent. À toute une oralité aussi.

Tu parles à juste titre de « scène poétique ». Cette génération s’empare davantage sans doute que les précédentes du caractère public et parfois même spectaculaire de la poésie telle qu’elle s’écrit de nos jours. La poésie orale, la poésie sonore, la poésie performée et autres formes, ne datent cependant pas d’hier. Sans doute y a-t-il là moins rupture que continuité mais avec une énergie, un élan neuf.

Une génération pleine aussi d’une diversité qui me paraît nouvelle dans son ampleur. J’ai l’impression que la masculinité, entre autres, y prend moins de place, n’y est peut-être même plus majoritaire, et tant mieux.

Je parlais de l’anthologie de Delvaille. Je viens d’en consulter la table des matières, les femmes y représentent moins de 5 % des auteurs. C’était il y a presque un demi-siècle (horresco referens !). Ce ne serait plus possible à présent, ni tout bonnement représentatif.

Il s’agit là d’un mouvement général dont la poésie n’est qu’un signe parmi d’autres. De même pour la diversité culturelle, ethnique, etc., et il y a là de quoi se réjouir, au-delà des frictions que cela peut provoquer ici et là. Mais je ne peux guère développer là-dessus sans que ma réponse charrie son lot de généralités et de banalités.

Est-ce que tu as découvert des poètes parmi cette nouvelle génération dont le travail résonne avec ta conception de la poésie ? Est-ce que parmi elleux, tu retrouves une continuité de la particularité de ton écriture, ou bien la poésie est plus que jamais libre d’avoir les particularités que chaque poète veut produire à partir de sa propre expérience d’écriture ?

Je ne peux prétendre avoir autre chose qu’une vue très partielle de la poésie actuelle. Je ne dirais pas non plus « continuité » avec mon écriture, ce qui suggérerait que je pense me situer en amont de quelque chose, quoi que ce soit, alors qu’il me semble plutôt faire, vaille que vaille, mes petits machins dans mon coin, si je puis dire. Ce qui peut s’énoncer aussi, pour reprendre tes mots, comme ma propre expérience d’écriture.

Mais bien entendu, parmi les moins de quarante ans, pour m’en tenir à ladite génération, des noms me viennent à l’esprit de poètes dont l’écriture me touche.

Par exemple celui de Laura Vazquez, qui est tout à fait reconnue à présent et dont le travail allie cohérence et singularité, non seulement dans ses livres, mais aussi lorsqu’elle commente d’autres œuvres : je songe à l’épisode des Parleuses, cette belle bibliothèque sonore initiée par Aurélie Olivier, qu’elle a consacré à Sei Shōnagon, et qui est un rare exemple de fluidité dans l’enchaînement de l’analyse et de la poésie.

L’écriture de Victoria Xardel, parcimonieuse dans ses parutions (des livres brefs et rares : Méthode, Le Zbeul…), est à la fois rigoureuse et d’une forme accomplie.

Me touche aussi le travail de jeunes poètes révélés ces dernières années par les éditions du Théâtre Typographique : Émilien Chesnot, Mia Brion, Gabriel Gauthier.

Je viens de découvrir le Norvégien Jørn H. Sværen, publié en français par les éditions Éric Pesty. Mais il est un peu plus âgé, nous sortons des limites que j’ai un peu arbitrairement fixées plus haut…

Pour ne rien dire de poètes que je ne connais pas encore mais dont le peu que je sais m’intrigue, comme Amélie Durand et sa Grammaire pour cesser d’exister parue l’an dernier : quel titre parfait !

Interview avec Marina Skalova

Marina Skalova est une autrice dont j’aime suivre le travail et les évolutions. Elle est à la fois poète, dramaturge et traductrice. Elle a participé aux Lettres aux jeunes poétesses. Depuis cette interview, il y a eu la publication du très beau livre Silence d’exils paru aux Éditions d’en bas avec des photographies de Nadège Abadie. Elle a participé en novembre 2022 au recueil collectif Filles de l’est, femme à l’ouest paru aux Éditions Intervalles.

Marina Skalova propose tout bientôt en librairie une traduction des poèmes de Galina Rymbu, poète russe réfugiée en Ukraine, livre dont je reparlerais ici. Elle va également publié la traduction de Verdicts de Lida Youssoupova aux Éditions Zoème en octobre et publiera un texte dans la revue L’Ours Blanc en novembre.

Cette interview a été réalisée en septembre 2019, à l’occasion de la sortie à L’Arche Éditeur de La chute des comètes et des cosmonautes. Entre-temps, la pièce a été jouée dans de nombreux théâtres en Allemagne et sera créée par une compagnie en France, la Réciproque.

© Dirk Skiba

Dans ton premier ouvrage Atemnot (souffle court) publié par Cheyne éditeur (réédité par les Éditions Héros-Limite en 2023), tu expliques en introduction pourquoi tu l’as écrit en allemand et en Français « Ces deux langues sont mes langues d’écriture, sans pour autant être mes langues maternelles. L’écriture a toujours été liée pour moi à une expérience de l’étrangeté, de l’entre-deux ». Comment est apparu ce désir d’écriture comme expérience de l’entre-deux ?

Mon parcours a été marqué par la traversée de plusieurs cultures (française, allemande et russe), dans lesquelles j’ai grandi. A beaucoup d’égards, ces cultures peuvent sembler antagonistes. Composer avec ces contradictions constitue une part importante de ma vie.

Au début, l’écriture correspondait à la recherche tâtonnante d’un territoire, d’un lieu dans la langue, où s’arranger avec ces pôles contraires, cet entre-deux permanent. Dans Atemnot, la langue ou les langues semblent aussi étrangères que le corps. L’étrangeté est une situation d’inadéquation avec le monde. C’est à partir de là que j’écris.

J’ajouterais peut-être que j’ai été très marquée par l’écriture de Paul Celan, né en Roumanie, écrivant en langue allemande, sa langue maternelle mais aussi la langue des bourreaux de ses parents décédés dans les camps nazis. Sa façon de creuser une langue étrangère au sein de l’allemand, d’écrire dans cette langue à partir d’une position d’étrangeté radicale. Ce n’est pas commensurable avec ma situation, ni avec ce que je fais. Mais c’est un geste d’écriture qui compte pour moi.

Tu abordes dans les deux livres qui ont suivi Atemnot, la figure de l’étranger. Amarres en produit une fiction tandis qu’Exploration du flux aborde la question des flux migratoires et se transforme en un cri de colère qui s’essouffle. Comment ce rapport à l’écriture comme exploration de l’entre-deux a-t-il évolué jusqu’à ta dernière publication La chute des comètes et des cosmonautes paru à L’Arche éditeur ?

Amarres portait une tension entre poésie et prose, c’était d’abord un texte de poésie, il a ensuite évolué vers une forme narrative fragmentaire, qui a finalement pris le dessus.

Exploration du flux tente de poser la question de la migration et de l’exil à partir du corps, lieu de l’empathie, que les logiques et langages médiatiques mettent à distance. Et à partir d’une forme, un flux d’écriture, lui-même fluide, fluctuant, mouvant. Penser la vie comme flux, circulation incessante, lieu de passages de corps qui franchissent nos frontières intimes… Penser cela implique de supposer des identités mobiles – et non figées – et des frontières forcément troubles entre les genres. D’où un texte qui n’est pas assignable à une identité générique fixe, et qui peut faire appel à la poésie, à l’essai, à la pièce radiophonique…

En tout cas, comme tu le remarques à juste titre, cette question de l’entre-deux (ou plus que deux, d’ailleurs) est vraiment inhérente à mon parcours personnel et littéraire. Toujours le cul entre les chaises. Ce n’est pas vraiment confortable, mais au moins cela oblige à se remettre dans une position de fragilité, cela empêche de se nécroser dans une identité, un style… Et c’est évidemment en lien avec « la question de l’étranger ». Être étrangère, selon moi, c’est justement cela, être toujours dedans et dehors à la fois.

C’est depuis cette position que j’ai abordé le monde du théâtre. J’ai écrit La chute des comètes et des cosmonautes à la suite d’une commande du théâtre POCHE/GVE à Genève. J’avais le désir de me frotter à l’écriture théâtrale depuis longtemps. Cette commande m’a donné le cadre de liberté et de contrainte nécessaire pour le faire, tout en m’obligeant à me déplacer, à déplacer mon écriture.

La question de l’entre-deux est déjà présente sur le plan thématique, car c’est justement l’écartèlement entre le monde soviétique et le monde occidental qui est la situation de départ des deux personnages. Ce conflit, cette guerre froide existe à l’intérieur de leurs corps et ils doivent composer avec, c’est un peu la question posée par la pièce, comment faire pour vivre avec cet héritage. Au niveau formel, la pièce s’est construite dans une alternance entre dialogues laconiques et flux d’écriture, dans la continuité d’Exploration du flux, avec un travail important sur les sonorités.

Pendant que j’écrivais la pièce, j’ai voulu m’intéresser au lieu de jonction entre poésie et théâtre, propre à de nombreuses écritures qui m’ont marquée. En tant que dramaturge au POCHE/GVE, j’ai animé des ateliers d’écriture autour de cette question, tenté de dégager ce qui dans l’adresse d’un texte l’orienterait plus du côté de la poésie ou du théâtre… Les nuances existent, mais elles sont fines.

Et justement quelles sont les nuances ? Comment se justifie cette délimitation entre le genre du théâtre et celui de la poésie ?

En poésie, la langue seule fait avancer le texte, elle n’est soumise à aucune contrainte extérieure.

Au théâtre, lorsqu’on écrit un texte destiné à être joué, on sait qu’il devra être habité par les comédiens, faire appel à leurs corps. Et que la représentation prendra place dans un espace-temps, qui est aussi celui de l’expérience des spectateurs.

Cela peut signifier différentes choses pour l’écriture.

Quand on entend un monologue d’Elfriede Jelinek, par exemple, étiqueté théâtre donc, on a clairement l’impression que c’est la langue qui est motrice. Mais si on le compare avec des flux d’écriture chez des poètes contemporains on s’aperçoit que le monologue de théâtre est truffé de petites adresses, «vous voyez », «vous savez » – ce n’est pas un soliloque, l’autre qui reçoit la représentation est inclus dans la pensée du texte.

Hegel distinguait la poésie comme « art de l’intériorité » du théâtre comme « art de l’extériorité ». La poésie orale, narrative, objective et surtout la poésie destinée à la performance rendent ces frontières complètement vacillantes, floues. Mais peut-être que quelque chose en subsiste néanmoins, via cette question de l’adresse. Je crois que l’autre est plus présent quand on se projette sur une représentation que quand on imagine un texte destiné à la page d’un livre.

Mais je ne saurais même pas l’affirmer avec certitude, tellement la performance a tendance à élargir la notion de ce qu’est le théâtre. A partir du moment où l’on sort de l’idée de présenter une fiction et qu’on affirme que la situation c’est d’être ici, sur un plateau, devant un public, la situation initiale est exactement la même que pour une lecture de poésie.

Au fond, je crois qu’un genre, qu’il soit sexuel ou littéraire, reste une assignation, avec ce qu’elle comporte d’arbitraire. Le marché éditorial est structuré en genres. Au moment de l’écriture, les choses sont forcément plus poreuses.

Comment s’est écrit La chute des comètes et des cosmonautes ? Est-ce que tu avais déjà en tête l’adaptation qui s’en ferait sur scène ?

Cela faisait de nombreuses années que je souhaitais travailler sur le déclin du régime soviétique. Le fait d’être née dans un pays qui n’existe plus, et d’avoir grandi avec les conséquences de cette chute phénoménale, au milieu des confettis d’empire en quelque sorte, y est pour beaucoup. Ce motif de l’éclatement et de la dislocation est aussi un moteur puissant pour l’imaginaire.

La pièce s’est surtout construite à partir d’images, celles des voitures, de l’électricité, des cosmonautes, des comètes, des astéroïdes… L’univers métaphorique de l’espace m’a séduite car il permet d’englober l’infiniment petit et l’infiniment grand, l’intime et le politique. Dans la pièce, la fuite dans l’espace est ce qui offre un espace d’ouverture, d’évasion, peut-être d’utopie aux personnages.

Je crois que j’ai surtout voulu interroger la soi-disante liberté de l’individu, porteuses de TANT de promesses que l’on a TANT fait miroiter aux ressortissants du bloc soviétique. Aujourd’hui, alors que le seul modèle qui s’est imposé est celui du libéralisme triomphant, qu’en est-il de cette liberté si fantastique ? Le fait de courir après l’épanouissement personnel et le bonheur individuel nous rend-il réellement plus libres – ou sommes-nous surtout plus seuls ? Je ne suis pas dans la nostalgie du modèle communiste. Mais je voulais faire acte d’une disparition, de ce monde qui a encore été présent dans mon enfance et qui a été englouti.

Pendant l’année où j’écrivais la pièce, j’ai travaillé dramaturge au théâtre POCHE/GVE à Genève, dans le cadre d’une bourse qui comprenait un volet « auteure en résidence » et un volet « dramaturge ». Ça m’a permis d’être en contact avec les écritures théâtrales contemporaines, d’assister aux répétitions des mises en scènes, d’écrire sur les pièces… Ça m’a nourri pendant que j’écrivais La chute des comètes et des cosmonautes. Et j’ai eu la chance d’être accompagnée par Claudine Galea, qui a relu plusieurs étapes du texte en cours.

Par contre, je ne visualisais pas du tout la mise en scène de mon texte – plutôt la fiction que j’étais en train d’écrire. Le travail de la mise en scène a eu lieu pendant un second temps, j’ai assisté à plusieurs lectures avec les comédiens mais pas aux répétitions. J’ai donc découvert le travail la veille de la première.

Qu’est-ce qu’a provoqué en toi la vision de ce travail ? Est-ce que tu as pu faire de plus fortes passerelles entre tes différentes performances poétiques et la mise en scène de ta pièce ?

Une chose qui m’a marquée c’était l’effet d’étrangeté que j’ai ressenti d’abord lorsque les comédiens s’appropriaient mon texte : je voulais corriger la ponctuation, les intonations, le rythme, de façon à ce que le texte résonne de la même façon que je l’entendais moi, en le lisant dans ma tête ou à voix haute.

Progressivement, à force de les entendre, leur diction est devenue indissociable du texte pour mes oreilles. Certains monologues, je ne les entends plus que dits par la comédienne, et son rythme devient désormais le mien lorsque je performe le texte.

Cette façon dont l’autre pénètre en soi et réciproquement me fascine. Elle est similaire à ce qui se produit dans la traduction

Interview avec Delphine Bretesché

© dessin de Delphine Bretesché

Depuis la disparition de Delphine Bretesché en décembre 2021, je n’ai fait que mesurer le travail si important qu’elle réalisait, mêlant les genres entre dessin, théâtre et poésie. Elle partageait sa bienveillance autant à travers ses textes, ses dessins qu’avec les gens qu’elle rencontrait notamment avec ces festins au Québec ou à Marseille.

Lorsque je réécoute l’interview qu’elle m’avait accordé en 2019, je me rappelle d’un moment tendre où Delphine parle de son travail avec une grande générosité et de tendresse. Je repartage donc cette interview sur La vie sans principe pour faire une place à cette artiste dont la disparition reste encore aujourd’hui inconcevable.

La plupart des livres de Delphine Bretesché sont publiés aux Éditions Lanskine et aux Éditions Joca Seria. Lisez-la, découvrez-la ou relisez-la pour garder éveiller cette douceur qu’elle a su partagée avec nous toustes.

Interview avec Patrice Luchet

@Pierre Planchenault / EscaleDuLivre

Patrice Luchet propose, depuis 2021, une série poétique intitulé Tout un peuple aux éditions L’Ire des Marges. Cette histoire poétique en feuilleton nous immerge au cœur de la vie d’une classe de troisième. Nous avons échangé autour de ce travail, mais aussi autour de la poésie et comment il perçoit son propre travail.

La série poétique, que tu es en train de publier aux éditions L’ire des marges, suit une classe de 3ème avec une rare sensibilité sur la question. Comment est venue cette envie d’évoquer au fil d’une série de livres divisés en mois de l’année la vie de cette classe ? Est-ce que tu t’es inspiré de ton propre travail de professeur ?

Tout d’abord, le choix de suivre une classe de troisième pour une œuvre de fiction poétique est d’abord un engagement car il me semble nécessaire de changer un peu le regard que l’on porte sur les adolescents dans notre société. On nous parle beaucoup d’invisibilité et les collégiens, cette tranche de 10 à 15 ans environ n’est traitée constamment que par ce qui ne va pas. On nous évoque dans les médias, les problèmes des adolescents, les problèmes de l’orientation, les problèmes de harcèlement, les problèmes des jeux vidéos chez les adolescents, les problèmes des dépendances aux réseaux sociaux chez les adolescents. Les problèmes, les problèmes… Loin de vouloir idéaliser, je souhaite juste y mettre un peu de réel.

Comme Charles Reznikoff a pu livrer des chroniques nommant de manière « objective » sur ce qui se passait lors de procès, j’essaie de nommer ce qui se passe ou pourrait se passer dans un collège. Et pour éviter d’être piégé par les clichés et l’enfermement d’une seule figure adolescente qui ferait plonger facilement dans le lyrisme, j’ai opté pour une chorale de personnages. Ils sont nombreux, ils sont plusieurs, ils sont tous aussi importants car ils portent en eux, leurs envies, leurs goûts, leurs désirs, leurs doutes et pour certains quelques problèmes. Elles se nomment  Laurane, Oznur, Rebecca, Lilou,Fiona, Emma. Ils se nomment Hristo, Aliouché, Georges, Ibrahim, Théo. Mais leur vie n’est pas un problème car c’est là le cœur du problème. Limiter la parole d’un groupe social comme les adolescents à leurs problèmes, c’est les obliger à ne parler que de cela.

Donc ces petits livres, sortes de nouvelles poétiques, visent à leur donner la parole. Et sortir de « l’adolescent est égoïste » et ce genre de vision qui nous arrange nous, adultes, car elle simplifie. C’est ainsi que dans un des textes Au funérarium, une des jeunes filles, Illona s’évanouit lors d’une cérémonie funéraire et c’est tout le groupe, tout ce petit peuple qui s’anime, chacun y va de son petit geste, faire un oreiller d’un pull, soulever les jambes, l’entourer pour éviter le regard des autres. Ainsi ces adolescents au fil des textes font groupe, font peuple. Mais faire groupe, cela ne signifie pas l’aveuglement du groupe, avec une seule idée, une seule parole, non là c’est le foisonnement, ils sont l’addition de toutes leurs pensées. Car il faudrait sortir de nos têtes que « les adolescents «  ce ne sont pas une même et seule personne.

Ils sont des fictions bien sûr comme Éric Chauvier, l’anthropologue, introduit la fiction dans ses textes, dans ses essais. J’ai été, comme d’autres, marqué par l’importance d’auteurs comme Joseph Ponthus et la possibilité de disposer en vers, en forme poétique des textes narratifs. Nombre d’autres poétesses et poètes avaient déjà travaillé sur cela, mais Joseph Ponthus faisait le choix d’une langue immédiatement accessible et je me retrouve dans cela. De plus, j’utilise des personnages qui n’existent pas mais qui pourraient exister. Seul personnage de toute cette fresque, Dünya, existe bel et bien, et son personnage porte la même force, la même bienveillance, la même énergie que la personne réelle. Pour les autres, ils pourraient surtout ressembler à n’importe quel adolescent et quand un adolescent lit mes livres et me dit qu’il s’y retrouve, que c’est exactement cela, je me dis que voilà la plus grande des reconnaissances.

Alors oui ces textes utilisent une ambiance qui s’appuie sur la réalité, pas besoin de faire un travail documentaire, puisque je vis depuis des années avec des adolescents, travaillant avec eux, les écoutant, mais les scènes et les situations sont belles et bien fictives. Malgré tout, elles peuvent être possibles. Peut-être faut-il aller chercher des influences du côté de Leslie Kaplan avec son livre L’excès-l’usine ou dans les livres de François Bon qui sont encore et toujours des sources pour porter un regard concret sur le monde. Ce qui m’importe c’est comment je peux porter un regard sincère et bienveillant alors que je ne suis plus un adolescent. Le tout en essayant de m’appuyer sur une écriture un peu sonore, rythmée qui pioche aux répétitions de Christophe Tarkos, comme à la crudité réaliste de Perrine Le Querrec. Je fais partie d’un collectif « BoXoN » dans lequel les influences de Bernard Heidsieck nous auront amené à interroger le sens et le son des textes, j’essaie de produire des nouvelles poétiques donc un peu sonore mais qui touche le public. Mon camarade de toujours, le poète Julien d’Abrigeon, dit que je fais du Pathoche, un mélange de pathos et de truc sonore. Je ne sais pas, peut-être.

Et puis écrire une série, c’est proposer une multitude de scènes différentes, cela permet de créer du suspense. J’ai la chance d’avoir une éditrice Bérengère Pont qui m’a fait confiance dès le début et m’a ouvert les portes d’une maison d’édition où les textes engagés comme ceux de Marie Cosnay, d’Éric Chevance, ou de François Beaune sont légion. Mon petit peuple d’adolescents est aussi une manière de dire qu’il faut laisser de la place à ces adolescents, leur donner un peu plus la parole, les écouter, les respecter.

Quand je me suis lancé dans cette série, j’avais en tête cette question de Sébastien Rongier qui me hantait un peu : « Comment fait-on, par exemple, lorsque le mot peuple disparaît, ou plus exactement lorsque se trouble dangereusement son usage ? » Alors mes personnages, aussi jeunes soient-ils, aussi invisibles soient-ils, vivent et sont le peuple en devenir. Et c’est ce moment de vie totale, entière que je veux aussi essayer de retranscrire sous l’usage de mots simples, ordinaires, sans forfanterie, enfin j’espère.

Les publications des livres de la série Tout un peuple sont étalées sur plusieurs années. Est-ce une manière différente de proposer de la poésie, comme un feuilleton que l’on retrouve avec plaisir au moment de sa sortie ? Est-ce un moyen de rendre vivant la poésie ?

Ce qui est intéressant avec cette question, c’est qu’elle touche au processus de création et aux processus économiques du livre. L’idée de départ était de prendre trois ans et de publier un livre par trimestre. Et de les écrire au fur et à mesure, dans le temps pour laisser les personnages évoluer selon mon regard sur eux mais aussi selon l’évolution de questions sociétales.

Sauf que la réalité a rattrapé tout cela, puisque la crise Covid, la guerre en Ukraine, l’inflation mais aussi l’importance de la prise en compte de la crise écologique en cours, ont fait que le papier pour fabriquer les livres est devenu très cher, et voir même n’existe plus. Certaines imprimeries ont fermé. Il devient alors très difficile pour mon éditrice de proposer et même de fabriquer ces livres tels quels. Les retours des libraires comme pour tous les livres furent nombreux et contraignent nombre d’éditeurs à réfléchir à deux fois à la publication. Le prix du livre est affecté, il augmente. Or l’idée était de proposer un livre, pas trop cher, que chacun peut s’acheter. Cela pose la question de la survie des maisons d’éditions indépendantes.

Aussi le projet risque de se réorganiser. A ce jour, quatre livres sont publiés et huit sont écrits et chez l’éditrice. Mais le choix a été fait de conserver le peu de papier qui reste pour les lecteurs qui voudraient la collection entière dans ce format, tout en proposant la série dans un seul livre dans un format plus classique. Un format plus classique cela signifie un livre avec une tranche, cela paraît un détail, mais pour les libraires, pour les bibliothécaires si l’objet livre peut être présenté en pile sur des tables, pour la plupart des livres de poésie ils sont vendus en peu d’exemplaires donc disposés dans les rayonnages après quelques semaines de sortie. Comment faire exister un livre sans tranche.

De plus, proposer toute la série des nouvelles poétiques en un seul livre, c’est perdre le suspense et l’attente comme on attend l’épisode suivant d’une série qu’on aime mais c’est donner accès en un seul volume à toute la globalité du texte. C’est penser le livre autrement, avec un début et une fin et donc décider d’un ordre de lecture pour le lecteur alors que la publication par épisodes permettait à chacun de lire dans l’ordre qui lui plaisait. J’aime bien l’idée que ces personnages de ce projet auront eu deux aventures de publication, une au début sous forme d’épisodes et puis une autre avec une publication globale.

Peut-être d’ailleurs que cela changera le mode de lecture, les épisodes conduisent à s’intéresser un peu plus à la narration au phénomène de suspense pour le lecteur, tandis qu’une publication de l’ensemble en volume conduit à regarder peut-être un peu plus la langue utilisée, les liens entre les personnages, de voir toute la vie qui se crée entre eux, entre elles, de ressentir peut-être plus fortement la visée politique que j’essaie dans cette série. La notion de personnages m’interroge d’autant plus que l’on voit dans les séries télévisées que les séries avec des personnages qui sont des adolescents pullulent mais on trouve tout un ensemble de séries où les acteurs sont en fait de jeunes adultes majeurs, alors tant bien que mal, j’essaie de redonner la place à ces adolescents. Ils ont leur âge dans mes petits livres.

Quant à la question de faire vivre la poésie, la question est encore plus large, parce que la poésie me semble essentielle dans notre monde contemporain, parce que je crois qu’elle peut apporter à tout un chacun, au-delà de l’écriture. Ces derniers mois, je porte avec un groupe de personnes motivées, l’aventure de créer une maison de la poésie à Bordeaux. L’idée est de faire venir un public large, nombreux, à des lectures de poésie contemporaine. A nous de trouver des solutions pour que le public vienne et qu’un bouche à oreilles existe pour entraîner le public à prendre l’habitude de venir écouter de la poésie comme on va à un concert, au cinéma, au théâtre, au stade.

Alors on travaille des croisements avec d’autres pratiques artistiques, on multiplie les projets scolaires mais aussi en entreprise pour sensibiliser un public varié qui constituera les lecteurs futurs de poésie mais aussi et surtout qui sortira du regard remplie de clichés qui colle à la poésie. La poésie est belle et bien vivante, le foisonnement, des poétesses et des poètes, la multitude des maisons d’édition, les projets et les lieux qui créent des soirées, des évènements, des rencontres autour de la poésie se multiplie. Alors comme d’autres, on essaie d’accompagner ce mouvement et on se réjouit que Lisette Lombé, Laura Vazquez, Pierre Vinclair, Thomas Vinau aient une grande visibilité. Ils donnent envie à de jeunes gens de se lancer dans l’écriture, de réfléchir à la manière de lire en public ses textes. Oui la poésie vit avec enthousiasme et exigence.

Est-ce que tu pourrais imaginer un jour écrire autre chose qu’une forme poétique ? Par exemple, cette fresque que tu décris dans Tout un peuple pourrait être un roman polyphonique, édité par un éditeur prestigieux et sûrement récompensé par de nombreux prix littéraires. Choisir la poésie n’est-il pas se risquer à moins de visibilité ?

Tu es bien trop sympathique avec moi, je ne pense pas une seule seconde que ce je tente d’écrire, puisse accéder à des prix littéraires quels qu’ils soient, cela me fait agréablement sourire. Si certains écrivent pour ces prix, pour ma part comme nombre d’autres personnes qui écrivent, ce n’est pas un enjeu, en tout cas pas le premier. Évidemment que tout écrivain espère être lu mais aucune posture de poète maudit ou je ne sais quoi de mon côté. Je lis de tout, et j’écris de la poésie. Je ne me pose pas la question d’une autre forme, car la poésie par les possibles recherches, par les diversités formelles, par les libertés possibles loin des pressions médiatiques, me convient tout à fait.

Ce qui m’intéresse entre autre dans la poésie, c’est cette possibilité d’être lu sans immédiateté, un livre peut être publié et trouver son lectorat deux ans, dix ans, vingt après. Le poids des rentrées littéraires, écrasant sur le roman, existe moins ou pas pour la poésie. La poésie ne donne pas cette impression d’être périssable, même si je pense que le roman ne l’est pas mais c’est le contexte économique de cette filière qui conduit à ce qu’un nombre important de roman finisse au pilon. Les livres de poésie s’installent dans les bibliothèques publiques, dans nos bibliothèques personnelles et y restent.  On les lit, les relit. Combien de fois, ai-je relu Caisses de Tarkos, combien de fois ai-je relu Remarques de Nathalie Quintane, combien de fois ai-je plongé dans les livres de Pascal Poyet, combien de fois ai-je réécouté les poèmes sonores de Bernard Heidsieck, combien de fois vais-je écouter encore les poèmes écrits et futurs de Laura Vazquez, de Julien d’Abrigeon, de Milène Tournier, je ne sais pas. Mais j’y reviens avec constance, alors je ne sais pas si je pourrais écrire autre chose, d’autant que depuis j’ai introduit des personnages et de la narration dans mes textes, cela m’a renforcé dans cette sensation de liberté.

La question que j’entrevois dans ce que tu me dis c’est aussi : est-ce que mes textes poétiques, que je m’amuse à appeler nouvelles poétiques, pourraient devenir un roman polyphonique? Cela soulève alors la question de ce qu’est la poésie pour un écrivain. J’en vois un certain nombre dans mes petits camarades auteurs qui conçoivent la poésie comme l’essence de la littérature, cela ne me correspond pas forcément, d’autres comme un brouillon avant de passer à un travail plus visible que serait le roman. Je ne perçois pas les choses comme cela.

Ce que je pense, c’est que dans la filière du livre, il faudrait parvenir à élargir le champ des lecteurs de la poésie sans entrer dans la démagogie, mais montrer à nombre de lecteurs qui ont de fausses idées sur la poésie qu’elle peut les intéresser. Les poètes qui posent des questions sociétales actuellement ouvrent ainsi la poésie à de nouveaux lecteurs.

Nous tournons une fois de plus autour des questions basiques du fond et de la forme, la poésie a été perçue ces dernières années comme un objet formel qui se serait coupé de tous ses lecteurs. Le retour d’une oralisation des textes, permet de toucher un plus large public et conduit nombre d’auteurs à se poser la question de lire ou pas à haute voix leurs textes devant du public. Faire sortir le poème de la page, comme cela a été porté par les avant gardes de la poésie sonore, est maintenant devenu une évidence pour toutes les écritures poétiques. Et cette oralisation ne conduit pas à une littérature poétique au rabais, on peut faire de la recherche et proposer un texte écoutable.

Donc je retournerais la question, en disant comment pouvons-nous rendre la poésie encore plus visible ?

Quelques pistes me traversent l’esprit. Tout d’abord, le premier moment où tout un chacun rencontre la poésie c’est dans le système scolaire, c’est donc vers là, qu’il serait peut-être nécessaire d’axer les premières actions. Confier des formations pour les futurs enseignants ou les enseignants volontaires dans les plans académiques de formation à des poétesses et à des poètes en lien avec des enseignants et construire des journées qui amènent à vivre les ateliers d’écriture et de mise en voix. Essayer de changer la vision d’une poésie, trop souvent utiliser à des fins de mémorisation dans les écoles primaires, et sortir des séquences de cours avec des thématiques comme « dire l’amour » en classe de 4ème. Montrer que des questions plus actuelles existent. Par exemple, pour les élèves des écoles primaires s’appuyer sur les livres remarquables publiés par les éditions Petit va!.  Multiplier en collège les rencontres avec des poétesses et des poètes vivants, insérer dans les programmes, la rencontre d’un auteur vivant pour que chaque élève de collège se dise que les poètes peuvent être vivants. Au lycée, sans dédaigner l’approche de commentaire fin des textes poétiques, essayer de montrer aussi la vitalité de la création contemporaine en créant des échos entre œuvres classiques et œuvres contemporaines.

À l’université, proposer beaucoup plus d’ateliers d’écriture en études de lettres et pas simplement dans des masters de création. Faire en sorte que l’écriture soit une activité aussi ordinaire que l’étude d’œuvres. Faire écrire les étudiants les conduirait, il me semble, à se familiariser beaucoup plus avec l’acte d’écrire et de mieux appréhender nombre de textes poétiques ou pas, par la suite.

Ensuite, les livres de poésie nous les trouvons en librairies et dans les bibliothèques. Il y a donc là aussi un champ de formation nécessaire auprès des personnels pour que la diversité de la production contemporaine soit montrée. Insérer là aussi dans les formations des métiers du livre, des séances d’ateliers d’écriture plus régulières pourrait être intéressante. Cela permettrait aussi de renforcer le lien avec l’éventail de la production des éditeurs indépendants (éditions de l’attente, lanskine, dernier télégramme, boucherie littéraire, lurlure, éditions des lisières, série discrète, éric pesty éditeur, …)

Ensuite, proposer des lectures d’auteurs vivants lisant eux-mêmes leurs propres textes en les associant à des partenariats avec des structures d’autres pratiques artistiques. Poésie et musique, poésie et danse, poésie et bande dessinée … je n’invente pas la poudre, mais voilà des choses qui sont à renforcer sur tous les territoires. Ainsi d’autres publics viennent découvrir de la poésie. Nous venons à Bordeaux de proposer avec la Maison de la poésie de Bordeaux, le festival Chahuts et le collectif l’Orangeade, des duos poètes avec des DJ qui ont été pour nous un exemple de moments littéraires et joyeux avec du public au rendez-vous. Il existe nombre de pistes et toutes celles et tous ceux qui organisent des soirées de lectures dans des lieux sauvages ou dans des instances plus institutionnelles, foisonnent d’idées, donnons-leur les moyens financiers de le faire car c’est la vitalité de la poésie qui en ressort grandie à chaque évènement. Ainsi se créent des lectures et des auteurs.

Chloé Delaume, ces derniers temps, a créé un système de mentorat pour les écrivains émergents, mis en place à la Villa Valmont, voilà un exemple sur lesquels la poésie pourrait là aussi s’appuyer pour proposer un accompagnement aux poétesses et aux poètes émergents.

La visibilité, on peut la créer et les manifestations de Poema, de la Maison de la poésie de Nantes, et de bien d’autres structures, associations, collectifs, revues rendent possibles cette visibilité petit à petit. Ce qui importe est de sortir des clichés pour montrer la vitalité de la poésie.

On voit avec ton travail poétique, où tu explores des thématiques sociales, que la poésie peut permettre de redonner du sens à notre société. Est-ce que finalement le but principal de la poésie n’est pas de redonner du sens à ce qui crée du lien à travers la vitalité du langage ? Est-ce la seule forme littéraire qui en est véritablement capable aujourd’hui ?

Si je parle à ma petite échelle, la poésie, pas plus qu’un autre genre littéraire, ne serait seule à pouvoir donner du sens ou redonner du sens.

Mais faut-il attribuer une utilité, aussi formidable qu’elle soit à une œuvre littéraire, je ne sais pas. Cela exclurait toutes les recherches formelles sous prétexte qu’elles ne seraient pas dans l’air du temps car elles ne traiteraient pas de telle ou telle problématique de société. La poésie doit-elle suivre les modes ? Je ne parle pas des modes sur les sujets abordés, ou sur les processus d’écriture mais suivre dans ses enjeux, les modes par exemple des politiques publiques. Et d’ailleurs la poésie est-elle affectée mise à part par ses influences littéraires ou artistiques, donc est-elle affectée par les politiques publiques? 

Nombre de villes ont des politiques culturelles qui essaient d’insuffler des directions souvent passionnantes mais qui conduisent à ce que les opérateurs culturels se voient proposer non pas des aides au fonctionnement pour les structures mais des aides  après réponse à des appels à projet. Cela conduit à un premier dommage c’est que les opérateurs culturels poétiques (festivals, maisons de la poésie…) voulant répondre à ces appels à projet, parfois exaltants, transforment leur programmation et donc leur choix de poétesses et de poètes invités. Quand ces appels à projets permettent de changer les représentations et les pratiques, l’incitation par exemple à la présence d’une part plus ou moins égale  de femmes et d’hommes dans les invités d’un festival, cela est normal et nécessaire, mais quand ces appels à projets incitent des poètes à se mettre à écrire sur des projets qui ne sont pas au cœur de leur travail mais juste pour essayer de survivre, c’est vraiment problématique. Et de fait, la poésie se perd juste parce qu’un appel à projet essaie de « redonner du sens ».

Donc peut-être qu’il faudrait laisser les programmateurs libres, grâce à des financements sans justification sur la ligne artistique mais en vérifiant plutôt que les poètes sont rémunérés de manière digne. Ainsi les auteurs pourraient avoir des marges de manœuvre plus conséquentes pour écrire ce qu’ils veulent. Ainsi les poétesses et les poètes pourraient s’ils le souhaitent s’engager dans des poésies plus politiques, peut-être ceux et celles qui le souhaitent. L’exemple de Juliette Mézenc me semble parlant, Juliette parvient grâce à la liberté qu’elle se donne dans ses choix d’écriture et par le soutien total de son éditeur (les éditions de l’attente) à trouver les questionnements de société en avance de son temps (questions d’écologie, questions migratoires, la place des femmes dans la littérature). A mes yeux, Juliette Mézenc redonne du sens par ses textes, mais en toute indépendance et liberté.

Pour ma part, je fais le choix d’écrire autour de questions de société mais en essayant de trouver une forme adaptée, cette oralité remise sur le papier qui me tient à cœur car elle renvoie aux orateurs de l’époque des grecs qui avaient la volonté de convaincre mais aussi le goût de la formule. Et puis comment ne pas évoquer Ghérasim Luca et Bernard Heidsieck qui loin d’être les seuls, ont porté le texte hors du livre.  Cependant ce qui m’intéresse se situe aussi ailleurs dans une espèce d’accueil dans la langue, je pense au travail dantesque de Frédéric Dumond autour des langues parlées ou l’abécédaire proposé par Pascal Poyet avec les laboratoires d’Aubervilliers. Frédéric a proposé ce moment à la Maison de la poésie de Nantes durant lequel il a effectué des ateliers de paroles dans la langue parlée des participants aux ateliers. Puis un temps de paroles échangées en public dans la langue de chacune et chacun qui était une lecture à proprement dite. Un moment fort, intense, où les langues se répondaient. La recherche formelle s’associait avec simplicité au partage humain et à l’hospitalité faite aux langues de chacun et chacune.

Le langage crée la vitalité de ce qui est à dire, tandis que ce qui est dit, anime le langage et le tout s’appuyant sur un écosystème vivant avec des revues, souvent lieu d’exploration, des éditeurs indépendants et puis des festivals, des manifestations, des lieux qui organisent des lectures. Les poétesses et les poètes partagent et travaillent avec tout ceci, et creusent une langue, pour certains, avec l’envie d’attirer l’attention des lecteurs sur des questions sociétales. Est-ce une obligation? Est-ce nécessaire? Libre à chacune et chacun.

Interview avec Sophie Coiffier

© Romain Charrier

J’ai découvert l’œuvre originale de Sophie Coiffier à la sortie du confinement avec le livre Le poète du futur paru aux Éditions Lanskine. J’ai lu par la suite son Tiroir Central paru aux Éditions de l’Attente. La poésie de Sophie Coiffier est atypique et possède un aspect ludique indéniable qui rend son travail accessible à n’importe quel·le lecteurice. Lorsque j’ai su qu’elle serait invitée à Nantes pour deux lectures, j’ai sauté sur l’occasion pour lui proposer une interview. Nous avons discuté de son travail et d’hyperréalisme à Pol-n (dans un certain vacarme) juste avant la lecture de son texte écrit dans le cadre du partenariat entre la Maison de la poésie et le musée d’Arts de Nantes.

Le texte qu’a lu Sophie Coiffier au musée d’Arts de Nantes sera bientôt disponible sur le site de la Maison de la poésie de Nantes. L’exposition Hyper Sensible est visible quant à elle jusqu’au 3 septembre 2023. Je remercie Sophie de m’avoir accordé cette interview ainsi qu’Alain et Aymeric qui ont permis de rendre écoutable cet enregistrement réalisé avec les moyens du bord.

On peut lire Sophie Coiffier aux Éditions de l’Attente, aux Éditions Mix et aux Éditions Lanskine.

Interview avec Anna Serra

Anna Serra et Nicolas Lafourest © Margaux Martin’s

À l’occasion de sa venue pour le festival Midiminuit poésie organisé par la maison de la poésie de Nantes, j’ai pu m’entretenir avec la poète Anna Serra. Nous avons échangés autour de son travail poétique se composant à la fois de livres et de performances.

L’interview a été réalisée dans le bar du Lieu unique quelques jours avant la performance d’Anna Serra.

Vous pouvez suivre son travail sur internet :

Son site internet

Sa chaîne Youtube

Son Soundcloud

La Radio O

La perle – Ferme de poésie pulsée

Anna Serra est éditée aux Éditions Lanskine et aux Éditions Supernova

Interview avec Nicolas Richard

Nicolas Richard

Pour mon précédent blog intitulé Des mots sur l’éphémère mouvement, j’avais interviewé le poète et performeur Nicolas Richard à l’occasion de sa venue au festival midi-minuit poésie 2019. Cette interview s’inscrivait dans une série qui cherchait à comprendre les liens entre poésie et théâtre. Il participe à la Cie Lumière d’août et a publié trois livres : Peloton (Éditions Supernova, 2019), Déchanter (Éditions Plaine page, 2022) et Commentaires (Éditions Vroum, 2022).