Le chant de la plinthe Dominique Quélen

Malgré ce que laisse entendre le titre amusant du dernier livre de Dominique Quélen, Le chant de la plinthe n’est pas constitué d’effusions lyriques où un narrateur/auteur viendrait se placer autoritairement face au lecteurice. Dans l’interview qu’il m’avait accordée, nous pouvons constater l’humilité de ce poète qui propose pourtant une œuvre tout à fait singulière et une approche inédite du langage. Ce livre s’inscrit dans la continuité d’Énoncés-types paru en 2014 aux éditions Théâtre Typographique. Il est constitué de cent cinquante paragraphes formés en septains, en dizains et en douzains.

La forme est ici au service d’une déconstruction de notre façon d’appréhender la lecture et plus globalement le langage. De prime abord, on voit que les paragraphes sont composés d’énoncés n’ayant pas de rapports les uns avec les autres. Mais l’intérêt du livre de Dominique Quélen se trouve ailleurs. Nous devons déplacer notre focale et nous concentrer sur la forme et le rythme que le poète lui a donné. Comme il est marqué sur la quatrième de couverture, « Ici, la phrase est ce qui relie un point à un autre ». Nous sommes loin de l’habituelle linéarité qui cloisonne notre perception du monde.

Certaines phrases que l’on trouve dans Le chant de la plinthe apparaisse parfois comme des lueurs très éclairantes sur ce que nous lisons. Je pense que ces lueurs seront différentes pour chaque lecteurice. Ce qui m’a sauté aux yeux est la récurrence des figures géométriques. Si j’étais un bon dessinateur, je ferais plutôt une œuvre plastique pour exprimer mon ressenti de lecteur plutôt que cette note. Ce qui se joue dans le travail de Dominique Quélen se trouve dans notre approche du langage, dans cette habitude que nous avons à lui accoler une linéarité qui serait plus logique par rapport à notre perception.

Dernièrement, j’ai lu L’ordre du temps de Carlo Rovelli et ce fut un grand choc dans mon approche du temps. Je ne veux pas ici me dérober face à la tâche que je me fixe pour évoquer Le Chant de la plinthe, mais je pense que les propos du scientifique italien ne sont pas si éloignés de la proposition artistique de Dominique Quélen. Le poète nous incite à lire différemment, à nous déshabituer d’une forme linéaire où tout se résumerait à une avancée cumulative. En lisant Le chant de la plinthe, j’ai l’impression d’avoir eu plus d’évocations en tête qu’à la lecture d’une saga romanesque. Cette forme, qui peut paraître ardue, m’apparaît comme plus naturel et plus logique.

Dominique Quélen a beaucoup publié ces derniers temps et c’est toujours un plaisir de retrouver son travail. Il façonne ses livres tel un artiste plasticien, un artisan fabriquant son langage propre. Si son écriture peut désarçonner, il faut réaliser que la forme linéaire à laquelle nous sommes habitués est une construction qui cloisonne notre vision du monde. Nos désirs et notre curiosité ne sont pas conçus dans cette linéarité. Avec ce travail poétique, Dominique Quélen nous rappelle la pluralité de nos émotions, qui peuvent certes aller d’un point A à un point B, mais n’ont comme logique que leur intensité.

Le chant de la plinthe

Dominique Quélen

éditions Lanskine

Laisser un commentaire