Bleuets Maggie Nelson

Depuis ma lecture du numéro 34 de la revue Muscle où l’on peut lire une conversation entre Maggie Nelson et Björk, j’avais très envie de lire Bleuets. Ce que disait la chanteuse du livre de l’écrivaine m’a profondément marqué. C’est donc avec une grande curiosité que j’ai commencé sa lecture après l’avoir reçu dans son format poche.

Je pensais m’attaquer à une somme, mais le livre est plutôt fin et n’est composé que d’une centaine de pages. Pourtant, je les ai parcourues lentement, comme on arpente une ville inconnue pour en comprendre sa logique et garder en soi ce qui nous y émeut.

Maintenant, que j’en ai terminé la lecture, je ne veux pas me souvenir de Bleuets comme une vague tentative d’épuisements de la couleur bleu. Le livre de Maggie Nelson n’est pas cela. Je pourrais utiliser le terme de déclinaison, mais qui ne se rattacherait pas uniquement à la couleur. L’autrice évoque tant de choses diverses et on ne peut pas enfermer cela dans une dénomination objective.

Maggie Nelson évoque la rupture amoureuse, le grave accident d’une amie, mais aussi la façon dont on perçoit les choses. Cette écriture est formée par des petites notes numérotées. Cela incite à nous déshabituer de la forme narrative. L’écriture de Bleuets est directe et sans fioriture. Cela donne l’impression que le livre se réalise au fur et à mesure de notre lecture.

Ce que j’ai ressenti de plus fort dans Bleuets est la sincérité de Maggie Nelson. Elle ne cherche pas à s’illustrer dans une compétition littéraire. Elle n’écrit pas pour démontrer, mais plutôt pour approfondir sa réflexion. Bleuets apparaît bien plus comme une forme libre. Mais cette liberté s’exerce dans le détail de ce que l’autrice évoque.

Ce n’est pas une rêverie autour du bleu, couleur usée jusqu’à la corde par les artistes. Il y a bien plus de justesse dans Bleuets que dans une métaphore évoquant le bleu. Maggie Nelson déploie une écriture de la nuance qui ne peut pas se caricaturer. La sincérité est le moteur de son écriture et ne tombe pas dans le piège de l’illustration.

Je dois éviter toute forme de mélancolie ou de nostalgie dans cette note de lecture, parce que ce livre ne se cloisonne pas à une réflexion sur ces émotions. Certains passages dévoilent une sensibilité forte et cela touchera n’importe quel·le lecteurice. Le livre de Maggie Nelson possède toutes les nuances que n’ont pas les livres sur le bien-être ou de développement personnel.

Bleuets nous fait percevoir la lumière tout en nous amenant à réfléchir sur notre capacité à la percevoir. L’écriture de Maggie Nelson nous saisit sans être démonstrative. Souvent, en littérature, il ne suffit pas de convaincre, mais plutôt d’être sincère. La démarche de Maggie Nelson semble être celle-ci, tout en restant dans une créativité artistique touchante.

Bleuets

Maggie Nelson

traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy

éditions du sous-sol

Porte du soleil Christophe Manon

Je fréquente le travail littéraire de Christophe Manon depuis longtemps. Je l’ai d’ailleurs rencontré en 2010 lors de ma première participation en tant que bénévole au festival Midiminuit poésie. Je ne lisais pas encore de poésie contemporaine et la Maison de la poésie de Nantes allait m’inciter à en lire pour lui donner une place centrale dans ma vie de lecteur. Ce poète est donc un compagnon de lecture dont j’aime suivre les évolutions et les belles épiphanies littéraires en y détectant les évolutions. Porte du soleil vient clore un cycle qui aura été l’un de ses plus intéressants exercices d’écritures publié par les prestigieuses Éditions Verdier. J’ai pris autant de plaisir à lire ce final que le narrateur a souffert en élaborant ce livre.

Christophe Manon a toujours tenté dans le cycle Extrêmes et Lumineux de comprendre le lien avec à ses proches disparus à la manière d’un Sisyphe qui irait se perdre dans un ultime élan vital. Porte du soleil vient conclure ce travail avec beaucoup plus de simplicité. L’échec de cette quête est de plus en plus explicite au fur et à mesure de la lecture. Plutôt que collecter des informations sur la vie des ces ancêtres italiens, Christophe Manon est victime d’un effondrement, plongeant dans l’alcool et la déliquescence. Au travers de ces périples dans les villes italiennes, un mal le ronge et ce n’est pas une quelconque panne d’inspiration ou un accablement face à la difficulté de vivre.

Porte du soleil est le récit d’une révélation qui devrait éclairer les fausses routes qu’a trop souvent emprunté la littérature. On ne peut pas continuer de se plonger dans un passé révolu, chercher constamment à faire parler les morts pour donner du sens au présent. Christophe Manon dévoile dans son calvaire le constat qu’il est nécessaire de puiser dans l’énergie présente pour rendre nos vies désirables. La posture romantique qui voudrait nous faire croire que les anciens ont plus de choses à nous dire que le simple fait d’être présent au monde est fausse. Ce travail lyrique que produit le poète rebat les cartes du lyrisme pour lui redonner une peau neuve.

Je constate que l’écriture de Christophe Manon va de plus en plus à l’essentiel. Il y a de moins en moins dans ces livres de tergiversations stylistiques. La structure des poèmes en vers de Porte du soleil est simple et peut toucher n’importe quel·le lecteurice. Il n’est pas nécessaire de connaître l’origine des citations pour comprendre que ce livre s’inscrit dans une tradition littéraire qui va de La Bible à Dante et Virgile. Ces ombres-ci propulsent l’ensemble des textes dans un geste réunissant avec lui la vision que l’on se fait d’une descente aux enfers. Christophe Manon n’est pas un écrivain qui fait du passé un style de vie.

On pouvait déjà le ressentir dans Provisoires, son précédent recueil de poésie paru aux Éditions Nous. Christophe Manon s’empare de ce qui a été bâti avant dans la littérature pour proposer un rapport au monde bien plus vivant que n’importe quelle pastiche pseudo-romantique ou autre ancien style. Il fait de l’héritage poétique le véhicule pour modeler son message. Nous sommes loin d’un regret réactionnaire qui aurait pour seul but de dénoncer une modernité moribonde. La réalité que vit Christophe Manon est bien plus complexe. Il ne défend que cette vitalité que nous devrions toustes tenir en nous éveiller, malgré le soleil aveuglant et la chaleur trop forte.

Porte du soleil

Christophe Manon

Éditions Verdier