L’Exercice du skieur Sophie Coiffier

Sophie Coiffier avait évoqué L’Exercice du skieur dans l’interview qu’elle m’avait accordée en mai 2023. Ce livre est donc paru aux éditions L’Ire des marges et évoque notamment les sports d’hiver et le réchauffement climatique. Mais on ne peut pas résumer le livre en évoquant uniquement la thématique qu’il aborde. C’est avant tout un dispositif que nous voyons clairement qu’une fois la lecture du livre achevée. La première partie de L’Exercice du skieur est constituée d’un texte écrit en résidence à La Muche, petite station de ski où la neige se raréfie. La narratrice livre dans ce texte des anecdotes sur l’évolution de la société au regard de la catastrophe climatique.

Ce qui apparaît comme une compilation de souvenirs et de réflexions devient un outil utilisé dans la deuxième partie. C’est donc un manuscrit que retrouve une actrice venue tournée un film vingt plus tard dans cette même station. On s’aperçoit alors que L’Exercice du skieur est tout autre chose qu’un roman où la narratrice nous livre ses états d’âmes par rapport au réchauffement climatique. Il s’agit bel et bien d’un exercice littéraire où les points de vue se multiplient pour actionner des mécanismes fictionnelles. Sophie Coiffier élargit les temporalités en abordant autant le passé, le présent et le futur.

J’étais très curieux de la forme que prendrait ce « premier roman ». Ce que je retrouve dans L’Exercice du skieur forme la spécificité du travail de Sophie Coiffier. L’autrice écrit en établissant des dispositifs délivrant le réel sous un certain angle. Ce que l’on retient de ce livre est cette forme de labyrinthe construit à partir des différentes narrations où les lecteurices aimeront se perdre. Il s’agit en effet d’un roman, mais il déploie une multitude de codes artistiques dont on trouvera les références à la fin du livre. Nous sommes loin du roman traditionnel où la seule dynamique provient des péripéties des personnages.

L’Exercice du skieur est une œuvre intéressante aussi bien formellement que par la thématique abordée. Les deux s’entremêlent pour questionner la notion de temporalité. Il y est notamment question de cette stagnation dans laquelle on se retrouve actuellement face aux enjeux climatiques. Je ne pense pas que la volonté de Sophie Coiffier avec L’Exercice du skieur est de nous donner la solution, mais l’autrice ancre les narrations dans de multiples réflexions écologiques. Ce qui fait la particularité d’un tel livre ne se concentre non pas dans son enjeu didactique, mais dans la façon dont le sujet est abordé et comment il apparaît aux lecteurices.

L’Exercice du skieur

Sophie Coiffier

L’Ire des Marges

Porte du soleil Christophe Manon

Je fréquente le travail littéraire de Christophe Manon depuis longtemps. Je l’ai d’ailleurs rencontré en 2010 lors de ma première participation en tant que bénévole au festival Midiminuit poésie. Je ne lisais pas encore de poésie contemporaine et la Maison de la poésie de Nantes allait m’inciter à en lire pour lui donner une place centrale dans ma vie de lecteur. Ce poète est donc un compagnon de lecture dont j’aime suivre les évolutions et les belles épiphanies littéraires en y détectant les évolutions. Porte du soleil vient clore un cycle qui aura été l’un de ses plus intéressants exercices d’écritures publié par les prestigieuses Éditions Verdier. J’ai pris autant de plaisir à lire ce final que le narrateur a souffert en élaborant ce livre.

Christophe Manon a toujours tenté dans le cycle Extrêmes et Lumineux de comprendre le lien avec à ses proches disparus à la manière d’un Sisyphe qui irait se perdre dans un ultime élan vital. Porte du soleil vient conclure ce travail avec beaucoup plus de simplicité. L’échec de cette quête est de plus en plus explicite au fur et à mesure de la lecture. Plutôt que collecter des informations sur la vie des ces ancêtres italiens, Christophe Manon est victime d’un effondrement, plongeant dans l’alcool et la déliquescence. Au travers de ces périples dans les villes italiennes, un mal le ronge et ce n’est pas une quelconque panne d’inspiration ou un accablement face à la difficulté de vivre.

Porte du soleil est le récit d’une révélation qui devrait éclairer les fausses routes qu’a trop souvent emprunté la littérature. On ne peut pas continuer de se plonger dans un passé révolu, chercher constamment à faire parler les morts pour donner du sens au présent. Christophe Manon dévoile dans son calvaire le constat qu’il est nécessaire de puiser dans l’énergie présente pour rendre nos vies désirables. La posture romantique qui voudrait nous faire croire que les anciens ont plus de choses à nous dire que le simple fait d’être présent au monde est fausse. Ce travail lyrique que produit le poète rebat les cartes du lyrisme pour lui redonner une peau neuve.

Je constate que l’écriture de Christophe Manon va de plus en plus à l’essentiel. Il y a de moins en moins dans ces livres de tergiversations stylistiques. La structure des poèmes en vers de Porte du soleil est simple et peut toucher n’importe quel·le lecteurice. Il n’est pas nécessaire de connaître l’origine des citations pour comprendre que ce livre s’inscrit dans une tradition littéraire qui va de La Bible à Dante et Virgile. Ces ombres-ci propulsent l’ensemble des textes dans un geste réunissant avec lui la vision que l’on se fait d’une descente aux enfers. Christophe Manon n’est pas un écrivain qui fait du passé un style de vie.

On pouvait déjà le ressentir dans Provisoires, son précédent recueil de poésie paru aux Éditions Nous. Christophe Manon s’empare de ce qui a été bâti avant dans la littérature pour proposer un rapport au monde bien plus vivant que n’importe quelle pastiche pseudo-romantique ou autre ancien style. Il fait de l’héritage poétique le véhicule pour modeler son message. Nous sommes loin d’un regret réactionnaire qui aurait pour seul but de dénoncer une modernité moribonde. La réalité que vit Christophe Manon est bien plus complexe. Il ne défend que cette vitalité que nous devrions toustes tenir en nous éveiller, malgré le soleil aveuglant et la chaleur trop forte.

Porte du soleil

Christophe Manon

Éditions Verdier